Fréquence cardiaque en marathon : un indicateur fiable ou trompeur ?
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Le marathon est une épreuve fascinante et exigeante. Il attire à la fois des élites et des coureurs amateurs. Beaucoup utilisent des montres connectées pour surveiller leur fréquence cardiaque et ajuster leur effort. Mais la fréquence cardiaque est-elle réellement un guide fiable pour les marathons ? Une étude récente menée par notre équipe, publiée dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, révèle que la fréquence cardiaque ne reflète pas toujours l’intensité réelle de l’effort pendant un marathon. Cette observation est particulièrement marquante chez les coureurs amateurs. Explorons ensemble pourquoi et ce que cela implique pour votre stratégie de course.
Les zones de fréquence cardiaque : une méthode populaire mais limitée
La fréquence cardiaque est souvent mise en avant par les experts comme l’un des indicateurs les plus populaires pour guider les entraînements et les courses. Grâce aux montres connectées, les coureurs peuvent suivre leurs battements par minute (bpm) en temps réel. Ces données permettent d’ajuster l’intensité et de mieux structurer des séances en fonction d’objectifs spécifiques, comme améliorer l’endurance ou augmenter la vitesse.
Pour cela, l’effort est divisé en cinq zones principales, définies en pourcentage de la fréquence cardiaque maximale (FCmax). Chaque zone correspond à une intensité spécifique et répond à des objectifs physiologiques distincts. Voici comment ces zones sont traditionnellement définies :
Les cinq zones principales
- Zone 1 (50-60 % FCmax) : Effort très léger, idéal pour la récupération active et les échauffements. La respiration reste calme. L’effort ne fatigue pas le corps.
- Zone 2 (60-70 % FCmax) : Effort modéré et agréable. La respiration reste stable, permettant de tenir une conversation. Parfait pour développer l’endurance de base en utilisant principalement les graisses comme source d’énergie.
- Zone 3 (70-80 % FCmax) : Effort soutenu, proche du premier seuil ventilatoire (VT1). Cette zone améliore l’efficacité cardiovasculaire. La respiration devient plus profonde, mais reste gérable.
- Zone 4 (80-90 % FCmax) : Effort intense, situé autour du seuil anaérobie. Ici, le corps commence à accumuler du lactate. L’effort devient difficile à maintenir.
- Zone 5 (>90 % FCmax) : Effort maximal, réservé aux intervalles très courts. Il développe la capacité aérobie maximale (VO2max) et la puissance. La respiration est rapide, et l’effort ne peut être soutenu longtemps.
Ces zones offrent selon les entraîneurs des repères pratiques pour planifier un entraînement ciblé et structuré. Par exemple, courir en zone 2 est idéal pour construire une base solide d’endurance et favoriser l’utilisation des graisses comme carburant. En revanche, les efforts en zone 4 sont considérés comme essentiels pour repousser le seuil anaérobie et améliorer la capacité à maintenir une intensité élevée.
Pourquoi cette méthode est-elle populaire ?
Lors d’un marathon, il est souvent recommandé de maintenir son effort entre 65 % et 80 % de la FCmax, correspondant aux zones 2 et 3. Ces zones sollicitent principalement le métabolisme aérobie. Cette stratégie épargne le glycogène musculaire et retarde l’apparition de la fatigue.
Cependant, malgré ces recommandations, la fréquence cardiaque est loin d’être infaillible, surtout lors d’efforts prolongés. Les études montrent que cette méthode présente plusieurs limites.
Les limites de la fréquence cardiaque comme indicateur d’effort
Ces limites se manifestent principalement à travers trois aspects majeurs.
Le drift cardiovasculaire : une limite majeure
Pendant un effort prolongé, votre fréquence cardiaque augmente naturellement. appelé drift cardiovasculaire, se produit même si l’intensité réelle diminue. Selon Coyle et Gonzalez-Alonso (2001), ce drift est causé par :
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- La déshydratation : La perte de liquides réduit le volume sanguin. Le cœur doit pomper plus rapidement pour maintenir un débit cardiaque suffisant.
- La thermorégulation : Une partie du flux sanguin est redirigée vers la peau pour dissiper la chaleur, augmentant ainsi la charge de travail du cœur.
Les calculs génériques : des approximations risquées
Les formules standards comme « 220 – âge » pour estimer la fréquence cardiaque maximale (FCmax) sont largement utilisées. Toutefois, leur fondement scientifique est fragile. Comme l’expliquent Robergs et Landwehr (2002), cette formule repose sur des observations empiriques limitées des années 1970, sans analyse rigoureuse. Elle sous-estime souvent la FCmax chez les individus âgés et la surestime chez les plus jeunes. Des alternatives, telles que l’équation « FCmax = 208 – 0,7 × âge » (Tanaka et al., 2001), ont montré une meilleure précision grâce à une méta-analyse rigoureuse. Cependant, même ces formules présentent des variations importantes entre individus, en raison de facteurs comme le niveau d’entraînement, la génétique ou les conditions de test, rendant leur utilisation parfois trompeuse.
Les conditions extérieures : un facteur imprévisible
Des facteurs comme la chaleur, l’altitude ou l’état de fatigue peuvent considérablement perturber la relation entre fréquence cardiaque et intensité réelle. En conditions chaudes, la déshydratation et l’augmentation de la température corporelle provoquent une dérive cardiovasculaire, augmentant la fréquence cardiaque indépendamment de l’effort réel (Coyle et Gonzalez-Alonso, 2001). En altitude, l’hypoxie pousse le système cardiovasculaire à compenser le manque d’oxygène. Cela modifie ainsi les réponses physiologiques normales (Levine et al., 1998). Enfin, la fatigue accumulée altère la régulation physiologique, rendant les zones de fréquence cardiaque moins fiables pour évaluer l’intensité (Lamberts et al., 2009).
Ce que dit notre étude sur la fréquence cardiaque et l’effort en marathon
Lors du marathon de Paris, dix coureurs amateurs ont été suivis dans une étude pionnière. Pour la première fois, des mesures précises des paramètres cardiorespiratoires (VO2, VCO2, ventilation) ont été réalisées tout au long d’un marathon. Cela a été possible grâce à un système portable de mesure des échanges gazeux (Cosmed K4) et une ceinture de fréquence cardiaque. Cette approche innovante a permis de collecter des données en conditions réelles, bien au-delà des limites des études habituelles en laboratoire. Quelques jours avant la course, chaque coureur a également réalisé un test d’effort progressif pour déterminer leurs valeurs maximales de VO2, de fréquence cardiaque et leur seuil anaérobie.
Les résultats ont révélé une dissociation inattendue et significative entre la fréquence cardiaque et la consommation d’oxygène, exprimées en pourcentage de leur valeur maximale :
- Stabilité de la fréquence cardiaque : Après le 5ᵉ kilomètre, la fréquence cardiaque est restée relativement stable (88 à 91 % de leur FCmax).
La fréquence cardiaque des coureurs, exprimée en pourcentage de leur fréquence cardiaque maximale (FCmax), présente une stabilité apparente tout au long d’un marathon. Comme illustré dans la figure 1, deux groupes de coureurs sont comparés : les marathoniens rapides (ligne bleue) et lents (ligne orange). Pour les deux groupes, la fréquence cardiaque reste élevée, oscillant entre 86 % et 91 % de leur FCmax.
Cependant, cette stabilité peut induire en erreur. Si elle donne l’impression que l’intensité de l’effort est constante, elle masque une réalité différente, surtout pour les coureurs lents. Chez eux, la fréquence cardiaque élevée ne reflète pas une intensité métabolique stable, comme nous allons le voir à travers l’analyse de leur consommation d’oxygène.
- Diminution de la consommation d’oxygène : La consommation d’oxygène a diminué progressivement, passant de 81 % à 74 % de leur VO2max, en parallèle avec une baisse de la vitesse de course.
Contrairement à la stabilité de la fréquence cardiaque, la consommation d’oxygène (%VO2max) diminue progressivement au fil des kilomètres, comme l’illustre la figure ci-dessus. Cette tendance est observée pour les deux groupes, mais de manière plus marquée chez les marathoniens lents.
Au départ, les deux groupes consomment environ 81 % de leur VO2max. Les coureurs rapides (ligne bleu) maintiennent une consommation relativement stable autour de 75 % de leur VO2max, même après 25 kilomètres. À l’inverse, les marathoniens lents (ligne orange) subissent une baisse rapide dès le 15ᵉ kilomètre. Cette diminution, combinée à une chute de leur vitesse, met en évidence une intensité métabolique décroissante, contrastant avec leur fréquence cardiaque encore élevée. Comme nous allons le voir dans le troisième point, l’analyse de la vitesse met encore davantage en lumière ces différences entre les coureurs rapides et lents.
- Dissociation plus marquée chez les coureurs lents : Les participants terminant en plus de 4 heures ont montré une chute de vitesse précoce (après le 15ᵉ km). Leur fréquence cardiaque restait élevée, masquant la baisse d’intensité métabolique.
Le graphique présenté ci-dessus illustre les différences marquantes dans l’évolution du pourcentage de vitesse maximale aérobie (%vVO2max) entre les marathoniens rapides (ligne bleue) et lents (ligne orange) en fonction de la distance parcourue. Ce paramètre reflète la capacité des coureurs à maintenir une intensité élevée tout au long de l’effort. Les marathoniens rapides montrent une stabilité remarquable de leur %vVO2max, avec de légères fluctuations après le 25ᵉ kilomètre. En revanche, chez les marathoniens plus lents, on observe une chute prononcée après le 15ᵉ kilomètre, atteignant un minimum critique autour du 30ᵉ kilomètre avant une légère récupération. Cette baisse est significative et pourrait expliquer pourquoi ces coureurs sont plus sujets au « mur », ce moment où les réserves énergétiques sont épuisées.
Ces observations soulignent une réalité importante : bien que la fréquence cardiaque reste un indicateur populaire, elle ne capture pas toujours avec précision l’intensité métabolique réelle, notamment lors d’un marathon. Les données de cette étude confirment que, pour les coureurs amateurs en particulier, l’utilisation exclusive des zones de fréquence cardiaque pour réguler l’effort peut mener à des interprétations erronées.
Face à ces limites, il est essentiel d’explorer des alternatives plus fiables et adaptées, comme une approche basée sur les sensations (échelle de perception de l’effort, ou RPE). Cette méthode, qui prend en compte les signaux corporels et les ressentis, offre une perspective complémentaire et souvent plus précise pour optimiser l’effort en course.
Mais alors, comment intégrer cette approche dans votre pratique sportive ?
Une stratégie pour mieux performer : écoutez votre corps
Notre étude met en lumière une approche souvent sous-estimée mais pourtant puissante : l’écoute des sensations corporelles. Contrairement aux montres connectées, votre corps fournit des signaux précis sur son état. Respirations, fatigue musculaire, ou même simple ressenti global de confort ou d’effort. Tous ces éléments sont des indicateurs précieux pour ajuster votre rythme.
Mais comment apprendre à écouter son corps et à courir à la sensation ?
Courir à la sensation demande de l’entraînement, mais c’est une compétence accessible à tous. Pour y parvenir, associez vos ressentis à des niveaux d’effort concrets en utilisant l’échelle de Borg. Par exemple, un effort facile correspondra à une note de 11, tandis qu’un effort soutenu pourra être noté 15. Alternez entre rythmes faciles, modérés et intenses pour calibrer vos sensations. Cela vous aidera à reconnaître vos limites et à ajuster votre rythme en conséquence. Enfin, relâchez votre dépendance aux montres connectées et faites confiance à vos ressentis pour guider votre course.
L’écoute de votre corps : une clé pour éviter le « mur »
L’un des défis majeurs d’un marathon est d’éviter le fameux « mur », ce moment où l’énergie semble disparaître. En courant à la sensation, vous êtes plus à même de gérer votre effort et de prévenir cet épuisement. Comment ?
- Variez et ajustez votre allure dès le départ : Commencez par une légère accélération (RPE 15) sur les 500 premiers mètres pour stimuler votre VO2max et activer pleinement vos filières énergétiques. Puis redescendez et stabilisez ensuite votre rythme dans une zone correspondant à un RPE de 13-14 (effort confortable mais soutenu), en acceptant des oscillations naturelles. Ces variations contrôlées optimisent le métabolisme et réduisent le risque de fatigue prématurée. Cette stratégie vous prépare également à exploiter vos ressources pour une accélération progressive en fin de course, selon vos sensations.
- Adaptez-vous en temps réel : Les sensations de votre corps, comme une respiration haletante ou une fatigue musculaire précoce, sont des signaux d’alerte. Si ces signes apparaissent, ajustez immédiatement votre allure pour préserver vos performances.
Mais pour courir à la sensation avec succès, il faut s’y préparer à l’entraînement.
Pour maximiser vos chances de succès, intégrez cette approche dès vos entraînements. Voici quelques conseils pratiques pour y parvenir :
- Incluez des séances en mode « minimaliste » : Pendant vos sorties longues, concentrez-vous sur vos sensations sans consulter votre montre. Cela vous aidera à mieux comprendre votre effort et à renforcer votre confiance.
- Simulez des marathons courts : Pendant une sortie longue, pratiquez l’approche « à la sensation » sur les derniers kilomètres. Concentrez-vous sur votre confort et votre respiration.
- Écoutez les signaux de fatigue : Ne laissez pas votre montre dicter le rythme si vous sentez que votre corps en demande moins.
Une victoire accessible
Courir un marathon est bien plus qu’une simple performance physique. En effet, c’est un équilibre subtil entre effort et écoute de soi. Bien que les zones de fréquence cardiaque soient un outil intéressant, elles présentent des limites, particulièrement pour les coureurs amateurs.
Ainsi, en vous fiant à vos sensations, vous développez une connexion plus profonde avec votre corps. Grâce à cette approche, vous devenez capable d’ajuster vos efforts en temps réel, évitant ainsi les pièges comme le fameux « mur ». Par conséquent, cette approche favorise une course plus fluide, où la performance n’est pas seulement mesurée en chiffres, mais aussi en ressenti et en satisfaction personnelle.
En conclusion, la prochaine fois que vous prendrez le départ, faites confiance à votre intuition. Apprenez à courir en pleine conscience, en combinant une préparation adaptée et une stratégie axée sur vos sensations. De cette manière, chaque marathon deviendra une expérience unique, riche en apprentissages et en émotions positives.
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